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Révolver Smith & Wesson Mark II Hand Ejector, calibre .455

ayant appartenu au Capitaine Kenneth William Junor, as du Royal Flying Corps canadien

Kenneth William Junor

Kenneth William Junor est né à Toronto, dans l’Ontario, le 3 août 1894 ; il était le fils de William et d’Alice Junor résidant au 106 Jameson avenue à Toronto.

Il a étudié successivement à la Queen Victoria Public School, au St Andrew’s College et à l’Université de Toronto, où il était membre de la société Kappa Alpha.

Il s’est engagé le 24 juillet 1915 au 75ème Bataillon de la Canadian Expeditionary Force (CEF). Il avait servi précédemment au 4th Canadian Mounted Rifles et au 9 th Mississauga Horse ; le personnel de ce dernier bataillon était recruté dans l’Ontario, à Toronto, Hamilton et London, principalement dans les familles d’origine écossaise. Il y a effectivement des Junor en Ecosse.

Il est parti en mars 1916 pour l’Europe avec la CEF et est resté quelques mois en Angleterre avant d’arriver en France en juillet de la même année. Il a été versé à 11ème Compagnie de Mitrailleurs, engagée d’abord à Saint Eloi et ensuite dans la Somme.

Comme il a été sérieusement malade de la fièvre des tranchées (NdT : ou fièvre quintane, maladie infectieuse transmise par les poux se développant à la faveur des mauvaises conditions d’hygiène), il a été détaché au Royal Flying Corps (RFC ; NdT : appellation de la Force aérienne britannique avant la création de la Royal Air Force) à partir du 24 avril 1917, mais est resté attaché organiquement au 75ème Bataillon de la CEF. Plus tard, il a été promu Capitaine et a été tué le 23 avril 1918, exactement un an après avoir rejoint le RFC.

Ken Junor a intégré le RFC le 27 avril 1917 à Reading ; son parcours y a été le suivant :

  • Début de l’ entraînement à Hendon, le 1er juin 1917
  • versé à la Training School N° 65, le 21 juin 1917
  • versé à la Training School N° 63, le 28 juillet 1917
  • nommé Sous-lieutenant, le 28 juillet 1917
  • versé à la Training School N° 56, le 15 août 1917
  • versé à la CFS, le 18 août 1917
  • versé au Squadron N° 72, le 23 septembre 1917
  • a pu être brièvement au Squadron N° 70, en novembre 1917
  • revenu à la Training School N° 65, le 8 décembre 1917
  • a servi au Squadron N° 56, du 15 décembre 1917 jusqu’à sa mort le 23 avril 1918.

Lorsqu’il était au RFC, il a été engagé sur les fronts des 3ème, 4ème et 5ème Armées entre Arras et Saint-Quentin. Il a été crédité de 8 victoires, ce qui a fait de lui un as, au sens officiel du terme.

Il a acquis le révolver dont il est question à titre privé bien que l’Armée britannique ait distribué ce modèle à son personnel (pour plus d’information, voir le chapitre consacré aux Smith & Wesson dans la section des armes à feu de mon site).

Sur le bord postérieur de la poignée de l’arme est gravée l’inscription « Lieut. K W. Junor 75 th Battn CEF ». Je suis pratiquement certain qu’il a acheté le révolver au Canada ou qu’on le lui a envoyé du Canada, et ce pour les raisons suivantes : son numéro de série est relativement petit, il n’y a pas de poinçons d’épreuve britanniques et enfin, à ma connaissance, aucun révolver de ce type n’a été importé en Grande Bretagne si ce n’est pour le personnel militaire. En outre cette inscription nous apprend qu’elle a été gravée après qu’il a été promu Sous-Lieutenant (NdT : dans l’Armée britannique, Lieutenant en second), c’est-à-dire après le 28 juillet 1917.

Les parachutes existaient à cette époque mais ils n’étaient distribués qu’aux équipages des ballons d’observation et pas à ceux des avions. Il était de pratique courante chez les aviateurs de se munir d’un révolver afin d’en finir au cas où leur avion prendrait feu et qu’ils seraient sur le point d’être brûlés vifs ; c’était la fin qu’ils redoutaient le plus. Il est possible que Junor a acquis le révolver pour cette raison. En effet, la lecture de la troisième lettre (voir ci-dessous), révèle que lors d’un combat singulier, il a été aspergé d’essence et qu’elle a été très près de s’enflammer.


Des réparations sont effectuées sur le S.E.5a N° C1086 du Capitaine Junor à l’aérodrome de Valheureux, base du Squadron N° 56.

Junor a donné à ses deux derniers avions S.E.5a les noms de Bubbly Kid et Bubbly Kid II.

Ken Junor à côté de Bubbly Kid II (Royal Aircraft Factory S.E.5a N° C1086), l’avion avec lequel in a été abattu.

A l’âge de 24 ans, le 23 avril 1918, Junor était abattu et tué par le Lieutenant Egon Koepsch à Bray-sur-Somme, le jour même où est arrivée l’annonce officielle que la Military Cross lui a été décernée.

On ne connaît pas l’endroit où il a été inhumé. Son nom est cité au Flying Services Memorial d’Arras, à côté de ceux de 990 aviateurs du Royal Flying Corps, de la Royal Air Force et du Royal Naval Air Service dont les tombes ne sont pas connues. On suppose que ses restes reposent au cimetière de Faubourg d’Amiens.

Voici le tableau des victoires obtenues par Ken Junor :

No Date Heure Unité Avion utilisé Opposant Lieu

1

29-01-18

11.40

56

S.E.5a (B591)

Albatros D.V (OOC)

Beaurevoir

2

30-01-18

14.10

56

S.E.5a (C9532)

Albatros D.V (DESF)

N.O. de Wambaix

3

17-02-18

11.45

56

S.E.5a (C9532)

Albatros D.V (DESF)

Moeuvres

4

26-02-18

13.20

56

S.E.5a (B536)

Albatros D.V (OOC)

Sains les Marquion

5

22-03-18

15.50

56

S.E.5a (B536)

Albatros D.V (DES)

Havrincourt Wood

6

01-04-18

12.35

56

S.E.5a (C1086)

Fokker DR.I (OOC)

Guillemont

7

11-04-18

18.30

56

S.E.5a (C1086)

Albatros D.V (DES)

O. d'Aveluy

8

20-04-18

10.15

56

S.E.5a (C1086)

Rumpler C (DES)

S.O. de Paisieux

Le 29 janvier 1918, le Lieutenant Junor a abattu un avion ennemi près de Beaurevoir. Le lendemain, il en a descendu un autre en flammes au nord-ouest de Wambaix. Le 17 février 1918, alors qu’il faisait une sortie en solo pour une mission spéciale, il a attaqué et également abattu en flammes un autre appareil ennemi au-dessus de Moeuvres et le 26 du même mois, alors qu’il était en patrouille, il a abattu un autre avion ennemi près de Marquion. Il a donc été crédité de quatre victoires : deux avions abattus en flammes et deux autres rendus ingouvernables de telle sorte qu’ils se sont indubitablement écrasés au sol. Dans tous les combats auxquels il a pris part, il a été remarquablement habile et a fait preuve d’un grand courage et d’une grande compétence.

 

            

      

Egon Koepsch qui a abattu Ken Junor

Egon Koepsch est né le 27 octobre 1890 et décédé le 26 novembre 1976. Il a commandé à titre temporaire la Jasta 4 (NdT : Jagdstaffel 4, en Français 11ème Escadrille de Chasse) en remplacement de son chef, Ernst Udet, qui avait été blessé. Ce dernier est un des grands as allemands, totalisant 62 victoires et classé deuxième après von Richthofen.

Egon Koepsch qui a abattu Lt Ken Junor:

 

Avions alliés abattus par Koepsch

No

Date

 

Unit

Aircraft

Opposant

Lieu

1

05-12-17

Jasta 4

 

D.H.5

Graincourt

2

23-04-18

Jasta 4

 

S.E.5a (C1086) Ken Junor

Sailly-Laurette

3

17-07-18

Jasta 4

 

Bréguet 14

Comblizy

4

22-07-18

Jasta 4

 

D.H.9

S. de Braisne

5

01-08-18

Jasta 4

 

Nieuport 28

S. de Braisne

6

13-08-18

Jasta 4

 

Bréguet 14

Bilancourt

7

31-08-18

Jasta 4

 

S.E.5a (D6927)

Combles

8

05-09-18

Jasta 4

 

S.E.5a (E1397)

Paillencourt

9

04-11-18

Jasta 4

 

D.H.4

S.O.de Montmédy

 

            

Quelques lettres écrites par le Lieutenant Junor

Lettre 1

Avant hier, je me suis rendu à 2AD (NdT : 2ème Dépôt d’Armée) pour chercher mon nouveau zinc (je pense avoir expliqué à Dolly ou à Mère le crash que j’ai eu avec le précédent). Il est équipé d’un moteur français, un Hispano-Suiza construit par la société Peugeot. Il y a de petites différences avec le moteur Wolsey-Hispano mais je suis en train de m’y habituer. Il a surtout un nouveau type de carburateur Zenith, ce qui est une amélioration par rapport au précédent.

Dans notre escadrille, les moteurs français ont la réputation de donner leurs meilleures performances durant les quelques premières semaines, ensuite de devenir poussifs mais je suis convaincu que cela est dû essentiellement aux pilotes et je pense qu’avec beaucoup de soins, je peux obtenir de bons résultats. Actuellement l’avion surclasse tous les autres tant en vitesse en palier qu’en vitesse ascensionnelle.

Il a eu son baptême aujourd’hui. Le Capitaine Billings a dû quitter la patrouille avant que nous ne soyons parvenus aux lignes à cause d’un ennui de moteur ; je me suis donc retrouvé leader. Nous avons d’abord entamé le combat avec un biplace. Je n’ai pas pu le toucher mais McPherson a tué l’observateur en tirant de si près que son rack de fusées de signalisation a été constellé de gouttes de sang. Ce cher vieux Mac tient tellement à descendre un Hun qu’il se précipite littéralement là où les anges n’iraient jamais. J’ai bien peur qu’il n’y reste....

J’ai rassemblé la patrouille, moins un copain qui s’est perdu, et nous avons grimpé à 14.000 pieds. Nous avons alors aperçu cinq Albatros à environ 500 pieds en dessous et à l’ouest de nous alors que nous nous trouvions à une quinzaine de miles derrière les lignes allemandes. Nous nous sommes placés derrière eux, les attaquant depuis l’est. Ils se dirigeaient vers la ligne de front et ne s’attendaient pas à un danger venant de ce côté. Le résultat a été qu’ils se ne sont rendus compte de notre présence que lorsque nous avons ouvert le feu. J’ai tiré 50 cartouches et mis dans le mille dans la queue du leader. Le pilote a perdu le contrôle de son avion et s’est écrasé au sol. Ensuite, mes ennuis ont commencé. D’abord la mitrailleuse Lewis (NdT : qui est montée sur l’aile supérieure) s’est détachée et est tombée en me frappant violemment la tête. La mitrailleuse Vickers (NdT : qui tire à travers l’hélice) s’est enrayée et, le pire de tout, le moteur s’est arrêté. J’étais en mauvaise posture avec des Huns qui étaient en train de bourdonner un peu partout.

Constatant que la chute de la pression d’air dans le réservoir d’essence a provoqué la panne du moteur, j’ai pompé avec la pompe manuelle et le moteur s’est remis en marche. Le support de la Lewis était cassé et l’arme ne pouvait plus être mise en batterie. Je vois alors un Hun derrière la queue de Porter … intolérable. Je plonge sur lui en tenant la Lewis de la main droite et en pressant avec la gauche sur le levier commandant le tir. Pas possible de viser convenablement. Les balles sont parties dans tous les sens mais cela a servi à effrayer le Hun qui s’est éloigné. J’ai alors entamé mon retour vers nos lignes. Y étant parvenu, je constate que ni Mac, ni Porter ne sont avec moi. Craignant qu’ils n’aient été abattus, je retourne 15 miles en arrière jusqu’au lieu du combat ; pas un seul zinc dans le ciel bleu. Tant pis pour Archie … et j’étais encore en train de tenir la Lewis. Je mets le cap sur notre base, me sentant bien déprimé. C’était le premier combat où j’avais conduit une patrouille en tant que leader et je ne voulais pas qu’il y ait eu des pertes ; je ne me sentais même pas content de ma victoire. Imaginez mon étonnement quand, arrivé à l’aérodrome, j’ai trouvé Mac et Porter  sur le tarmac se demandant ce qui avait pu m’arriver. Mais « Tout est bien qui finit bien » et tout le monde était content de la bagarre du matin.
Depuis que j’ai commencé à écrire ma lettre, nous nous sommes déplacés d’une trentaine de miles pour nous installer sur un nouvel aérodrome. Ce sont les Huns qui maintenant occupent notre ancienne base. Si vous vous rappelez une de mes  lettres précédentes, je parlais d’aller me promener sur mon ancien champ de bataille, de visiter les emplacements de mes pièces, etc … Eh bien, maintenant tout cela se trouve derrière les lignes allemandes. L’air était lourd avec les machines des Huns qui vrombissaient en masse. J’ai été abattu deux fois en trois jours et je pense avoir dépassé le point critique de ma carrière d’aviateur ; enfin, j’espère. Je n’ai jamais été manqué de si peu …

Lettre 2 : Quand je rentrerai à la maison

Comme il s’agit de parler un peu boutique, tout le monde ne sera peut-être pas intéressé. J’écrirai cela à vous, Père et je souhaite que vous conserviez les lettres concernant mes « rapports de combat » car j’aimerais pouvoir en disposer quand je rentrerai à la maison. Dans mon journal de bord, j’écris un court compte-rendu de chaque engagement. Je devrais tenir un journal plus détaillé mais n’en ai ni le temps ni l’énergie. Si vous conservez mes lettres ou si vous les faites recopier, l’objectif sera atteint.

L’autre jour, au moment où, après une patrouille, nous faisions demi tour pour rentrer à la base, j’ai aperçu deux Albatros ; j’ai alors quitté la formation et les ai attaqués. C’était assez imprudent étant donné que personne ne m’a vu exécuter la manœuvre. J’étais presque à court d’essence, mais les deux Huns étaient tout seuls alors que d’habitude ils se déplacent en troupeaux – dont il faut se méfier, car ils sont sûrs d’être de bons pilotes. Dès que je me suis trouvé dans la queue d’un des deux, manoeuvrant pour me mettre en position de tir, j’ai compris que je m’étais fourvoyé dans un beau guépier. L’autre Albatros – un était jaune avec un nez rouge vif et l’autre était bleu - a grimpé au-dessus de moi, s’est placé dans ma queue et a ouvert le feu : j’attaquais le jaune et le bleu montait au-dessus de moi. J’ai alors décidé de renoncer au combat et de rentrer. Mais ils n’avaient absolument pas l’intention de me laisser faire ; tout de suite, ils se sont placés tous deux au-dessus de moi et m’ont forcé à descendre vers la zone allemande. Chaque fois que je regardais derrière ma queue, un Hun était là qui me repoussait et tirait sur moi. De plus, ils étaient bons tireurs et leurs balles frappaient mon avion. Je craignais être touché à chaque instant. J’ai effectué toutes les manœuvres que je connaissais afin de les perturber et de m’enfuir, précipitant mon vieux zinc dans tous les coins du ciel. Une fois, je suis presque entré en collision avec le jaune ; il a roulé sur le dos et j’ai pu voir les carreaux bleu et jaune des dessous de l’avion.

Le combat a commencé à 17.000 pieds ; nous étions alors à 5.000 et je pouvais voir les Huns dans leurs tranchées. Je n’étais nullement excité, mais au contraire très calme et même très froid. J’étais seulement contrarié d’être dominé. Brusquement l’Albatros a cessé de plonger sur moi et a quitté son ailier pour me régler mon compte. Je pense qu’il était probablement à court de munitions car il devait avoir tiré plus de 400 coups dans ma direction. Quand je me suis rendu compte que je n’avais plus qu’un seul antagoniste, mon moral est remonté. J’ai décidé de grimper au-dessus de lui – nous étions alors descendus à 2.000 pieds et nous trouvions à quatre miles à l’est de la ligne de front -. Quand il s’est rendu compte de la manœuvre, il a attrappé la frousse et a mis le cap sur sa base. C’était ma chance ; j’ai foncé sur lui et tiré à courte distance une longue rafale de mes deux mitrailleuses. Il a été mis en pièces et s’est écrasé dans un champ. Son misérable ailier a suivi l’affaire de haut. Ces Huns sont certainement des sportsmen – Mais non ! je ne pense pas.

Je suis rentré à la base fichtrement content d’être en vie. Sitôt atterri, mon avion est pratiquement tombé en morceaux. Il était percé de très nombreux trous et réduit à l’état d’épave.

Lettre 3 : une visite royale.

Soit dit en passant, le Roi à souhaité venir nous voir hier : poignée de main à chacun d’entre nous, très agréable et très disert. Il nous a raconté qu’il venait décorer McCuddens de la Victoria Cross. Vives félicitations … il l’a certainement bien méritée. Je ne pense pas qu’il y ait dans toute l’Armée un gars du même âge qui possède la même brochette de décorations : Victoria Cross, Distinguished Service Order avec barrette, Military Cross avec barrette, Military Medal, Mons Star et Croix de Guerre française. C’est aussi la deuxième Victoria Cross de notre escadrille, l’autre étant celle du Capitaine Ball.

Mais il me faut écrire mon rapport de combat. Père, j’espère que la lecture de ces événements amusants ne vous ennuie pas trop ; je ne puis écrire sur un autre sujet que ce à quoi je pense et rêve en permanence. Actuellement, j’ai mis tout de côté pour ne vivre que pour voler et tuer des Huns. Je suis bien décidé à réussir dans ce domaine ou à abandonner.

Si, dans mes lettres, il vous semble que je parle continuellement boutique et s’il vous apparaît que j’oublie ou que je néglige des choses qui seraient plus importantes, je vous prie de me pardonner. Personne ne sera plus reconnaissant que moi quand ce maudit travail sera terminé et que nous pourrons reprendre une vie normale. Actuellement, ma seule crainte est que, durant ce beau temps printanier, alors que nous faisons deux sorties par jour, mes nerfs ou mon énergie ou autre chose me laissent tomber. Je pense que cela me briserait le cœur si j’étais hospitalisé maintenant. Depuis des mois, je suis convaincu avoir quelque chose à faire ici et je suis déterminé à le faire du mieux que je peux. Je n’ai jamais ressenti quelque chose d’aussi fort avant.

Bien … l’autre jour nous avons effectué une patrouille : deux sections de six avions chacune, une section volant 2.000 pieds au-dessus de l’autre. L’idée était que les avions de la section du bas s’occuperaient de la « ferraille » (NdT : avions d’observation allemands), tandis que la section de haut les protégerait et ferait en sorte que les Huns ne plongent pas derrière eux. Je faisais partie de la section du haut, Hank était dans celle du bas, dont le leader s’appelait Mealing. J’étais à la droite du Capitaine Billings qui menait notre section. Alors que nous venions de traverser la ligne de front, la section du bas est descendue pour attaquer un biplace ennemi. Nous avons plongé à leur suite et, ayant obliqué vers nos lignes, j’ai soudain aperçu en-dessous de nous dix Albatros (pourpre et blanc) conduits par un Pfalz peint en couleur argentée (n’oubliez pas cet avion) qui piquaient vers notre section du bas. J’ai immédiatement plongé à leur suite, me suis mis derrière la queue de l’avion argenté et ai ouvert le feu. Mes deux mitrailleuses se sont enrayées ; cela ne m’a pas perturbé outre mesure car je pensais que tous les autres Huns seraient occupés par mes compagnons. Mais … pas de chance : avant que je ne m’en rende compte, il y en avait une demi douzaine au-dessus de moi et certainement à portée de tir. L’air était saturé de balles traçantes qui s’écrasaient sur mon zinc. Le réservoir d’essence a été transpercé, juste devant mon pied ; environ 15 gallons de carburant se sont répandus et le moteur s’est arrêté. Bien entendu, durant tout ce temps j’envoyais mon avion – bougeant tout le temps - dans toutes les directions, en tournoyant et en virevoltant etc … mais, le pire de tout, perdant de l’altitude.

S’il n’y avait eu qu’un ou peut-être deux Huns, j’aurais pu les semer ; mais avec un si grand nombre, c’était sans espoir. J’étais absolument terrifié à l’idée que mon zinc pouvait prendre feu. J’ai branché le réservoir de secours et le moteur est reparti. A ce moment il y avait trois Huns derrière moi, deux Albatros et le Pfalz argenté. Quand je me suis débarrassé d’un des deux premiers, le Pfalz a piqué juste sur moi et tiré à courte distance. La rafale est arrivée précisément dans le réservoir de secours placé au-dessus de ma tête. Une balle a traversé le pare-brise et l’essence s’est mise à dégouliner sur mon visage et dans mes yeux, me rendant complètement aveugle. J’ai pensé que ma dernière heure était arrivée et me préparais à renoncer. Le moteur s’est de nouveau arrêté. J’espère pouvoir relater toutes les pensées qui m’ont traversé l’esprit durant ces quelques secondes critiques : je pensais à un dîner dans le mess des aviateurs allemands, chose plausible à condition de m’en sortir vivant ; je me suis souvenu avec un peu de regret que je n’ai pas eu l’occasion de porter le ruban de ma Military Cross et un milliers d’autres choses.

J’étais descendu à 3.000 pieds. Regardant vers le haut, j’ai vu que les deux Albatros étaient disparus mais que le Pfalz me poursuivait toujours. J’étais cependant bien désarmé, sans moteur. Brusquement, un S.E. a surgi du ciel tel un trait jaillissant du fond bleu et a foncé sur le Hun. Quand il a ouvert le feu, j’ai vu ses traçantes ; chutant comme un éclair, le Pfalz est tombé, ses belles ailes argentées brillant dans le soleil, complètement désemparé. 
Je réalisais à peine que j’étais sauvé quand j’ai eu la terrible sensation que je ne parviendrais pas à rejoindre nos lignes. J’ai tout essayé avec le moteur : pompé avec la pompe manuelle, permuté le branchement des deux réservoirs, prié pour qu’il redémarre… J’étais trop mal pour me réjouir quand il s’est mis à crachoter, mille tours, douze cents tours, quatorze cents tours, … assez pour rentrer. Ce qui s’est passé, je ne le sais pas. Le réservoir d’huile était percé ; il n’y avait plus de pression d’huile. Le radiateur était touché et toute l’eau s’en était écoulée ; la température dépassait les 100°. L’avion avançait comme un canard boiteux en faisant un bruit de tracteur agricole. Mais cela allait et avec un soupir de soulagement, j’ai passé nos lignes et ensuite piqué vers le premier champ convenable pour m’y poser. Le moteur a lâché à l’atterrissage. J’aurais souhaité que vous puissiez voir mon avion : il était percé de partout ; en plus des dégâts dont j’ai déjà parlé, il y avait plusieurs trous dans diverses parties du moteur ; même les extrémités de l’hélice étaient transpercées. Un hauban d’aile était sectionné et le fuselage était perforé à plusieurs endroits. Je n’ai pas passé trop de temps à l’inspecter ; j’ai réquisitionné la voiture la plus proche pour m’empresser de retourner à notre aérodrome.

Si personne ne vous a sauvé la vie, vous ne pouvez pas vous imaginer les sentiments qu’on éprouve pour celui qui l’a fait. A notre base aérienne, lui et moi avons été –amicalement - de grands rivaux. Nous avons reçu nos distinctions honorifiques le même jour et nous étions à peu près à égalité en ce qui concerne les Huns descendus. Comme j’ai été en permission, il m’a quelque peu distancé et le Pfalz a été sa onzième victoire, en plus de 2 ballons ; il était sur le point de remporter le DSO. Mais voici le côté triste de l’histoire : le même jour, il n’est pas rentré d’une mission ; un avion a été vu tomber en flammes et Walkerdine a vu un S.E. brûlant sur le sol.


Visite du Roi George V au 56th Squadron le 29 mars 1918, comme mentionné dans le texte de la lettre ci-dessus.
Le Capitaine Junor est le premier à droite.